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Evolution de la stature des conscrits alsaciens (1777-1920)

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Caractéristiques

Auteur et institut Laurent Heyberger
Périodes Époque moderne - Époque contemporaine
Thèmes Santé
CartographeJean-Philippe Droux, CNRS (ARCHIMEDE)
EchelleAlsace
Date de création2005
Date de dernière modification2009
SourceCarte originale
Comment citer cette sourceLaurent Heyberger, « Evolution de la stature des conscrits alsaciens (1777-1920) », in Atlas historique d'Alsace, www.atlas.historique.alsace.uha.fr, Université de Haute Alsace, 2009

Notice de la carte

Evolution de la stature des conscrits alsaciens par cantons (1777-1920)

La stature moyenne, largement reconnue par la communauté scientifique internationale comme un indice écologique et synthétique de développement humain, est utilisée par les spécialistes pour évaluer les niveaux de vie des pays du Sud actuels, ou encore pour valider les estimations de disponibilités alimentaires calculées par l’ONU. L’histoire anthropométrique propose un indice démographique de niveau de vie alternatif aux indices classiques (PIB/hab., salaires réels…) qui donnent parfois une vision trop optimiste de la première révolution industrielle et une vision trop pessimiste de la seconde. La stature à l’âge adulte renseigne avant tout sur les conditions de vie durant la petite enfance : les données sont donc citées et commentées à l’année de naissance, même si la croissance secondaire de l’adolescence peut expliquer pour partie la stature à l’âge de vingt ans.

La carte des cohortes nées en 1777-1778 montre une géographie très contrastée de la stature qui vient globalement confirmer la géographie économique : richesse de l’agriculture en Basse-Alsace et médiocrité dans le Haut-Rhin, conscrits plus grands dans les plaines que dans le Ried ou le piémont vosgien. Les bords du Rhin, en partie zone de marécages, constituent un milieu hostile où les maladies se développent davantage que dans des espaces plus secs. Le contexte épidémiologique joue un rôle important dans cette région. Les habitants tombent plus souvent malades en raison de l’eau stagnante des marais, qui favorise la transmission de nombreuses maladies. Le piémont vosgien rassemble les cantons les plus défavorisés. Il s’agit de terres acides, relativement peu fertiles et qui supportent une croissance démographique importante. L’agriculture traditionnelle ne parvient plus à y nourrir la population. Cependant, les cantons de Saverne, Marmoutier et Wasselonne, aux statures modestes, correspondent à des zones de grande culture. Au contraire, cinq cantons de « géants » dont quatre dans le sud et un dernier dans l’Alsace bossue se trouvent en dehors des riches plaines de loess, preuve d’une relative prospérité de la viticulture alsacienne. De même, le changement agricole a lieu dans les cantons du nord de l’Alsace, pourtant généralement considérés comme pauvres : Niederbronn, Lauterbourg ou Haguenau affichent un indice anthropométrique assez élevé. On trouve dans le nord du Bas-Rhin une densité de bovins importante, donc une disponibilité en lait pour la consommation humaine supérieure.

La région bénéficie d’une croissance staturale sensible dans la dernière décennie du XVIIIe siècle. La baisse de la fécondité induite par la Révolution pourrait expliquer cette amélioration en l’absence de hausse sensible des températures qui aurait pu faire augmenter les rendements agricoles. Durant la première moitié du siècle, la stature stagne dans l’Alsace rurale alors que la croissance démographique est sensible : la crise malthusienne n’aura pas lieu. La carte anthropométrique de 1848 marque donc une nette amélioration par rapport à 1777-1779 : élévation générale de la stature et baisse des inégalités entre cantons. Par ailleurs la hausse des salaires du Second Empire a bénéficié aux jeunes gens examinés au début de 1869. Les niveaux de vie biologiques sont répartis de manière assez homogène dans le Bas-Rhin alors que les contrastes sont beaucoup plus marqués dans le Haut-Rhin. La géographie de 1848, encore contrastée, renvoie à des apports alimentaires encore très variables d’un canton à l’autre. Le piémont vosgien est encore très nettement défavorisé. Au contraire, les marécages du bord de Rhin ne sont plus des zones de dépression staturale. Les travaux d’assèchement des marais entre l’Ill et le Rhin, auxquels on attribue traditionnellement l’extinction du goitre et du crétinisme, pourraient expliquer ce changement. Les quantités de nutriments qui étaient jusqu’alors dépensées par l’organisme pour lutter contre les maladies des marais peuvent désormais servir à la croissance du corps. A moins qu’une consommation accrue d’iode, rendue possible par le développement économique et par l’essor des échanges commerciaux, n’explique ce phénomène. Par ailleurs, comme dans d’autres pays, la première industrialisation est marquée par une dégradation plus sensible des conditions de vie en milieu industriel et urbain qu’à la campagne.

La fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle sont marqués par une croissance anthropométrique régulière et sensible. Il y a homogénéisation spatiale des statures entre 1848 et 1920 grâce au développement des moyens de transports modernes, à l’uniformisation des genres de vie et à l’élévation du niveau de vie des plus défavorisés. Les compositions professionnelles des divers échantillons cantonaux tendent alors à s’uniformiser et jouent aussi dans ce sens. L’espace compris entre Masevaux et Villé est celui qui accroît sa stature moyenne le plus vite : il s’agit là d’un mécanisme classique où un même supplément en valeur absolue de nutriments se traduit par des gains staturaux supérieurs pour les populations les plus mal-nourries auparavant. A l’échelle régionale, la ville ne joue plus de rôle négatif sur la stature.

Globalement, ces trois cartes font apparaître que la petite culture n’a pas nui au développement humain en Alsace au cours de la révolution industrielle, même si la région a connu une situation à la limite du stress alimentaire durant toute la première moitié du XIXe siècle, voire une baisse de la stature à Mulhouse. Par la suite, la région, qui se situait dès le début du XIXe siècle parmi les régions françaises les plus favorisées d’un point de vue anthropométrique, bénéficie d’une croissance staturale régulière qui lui permet d’atteindre des statures élevées et homogènes pour les derniers conscrits examinés en 1940.

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